L’adaptation cinématographique d’Incendies

Introduction

Depuis le commencement de la cinématographie, lescréateurs étaient à la recherche d’histoires à raconter. Avec la venue dusystème hollywoodien, les producteurs de films étaient constamment désireux d’unprojet à financer. Le marché du cinéma se déroulait à une vitesse importantetoujours dans le but de faire plus d’argent. Par manque de temps pour lacréativité, les livres sont devenus les principaux objets d’inspirations pourla majorité des films. Encore aujourd’hui les grands studios hollywoodiensutilisent cette façon de faire qui, semble-t-elle, ne perd pas en efficacité.Ailleurs dans le monde, plusieurs autres cinéastes font de même. C’est le casde Denis Villeneuve, célèbre réalisateur québécois, qui a adapté la pièce dethéâtre Incendies. L’oeuvre originaleécrite par Wadji Mouawad a été grandement appréciée par le public. D’abord présentéen 2003, la pièce se retrouve finaliste aux prixlittéraires du gouverneur général, catégorie théâtre. En 2004, elle gagnemeilleur texte francophone prix SonyLabou Tansi et le prix des lycéens.À la suite de ce remarquable succès, Denis Villeneuve s’applique à la difficiletâche d’adapter ce texte déjà brillant pour en faire un film. En 2010,l’adaptation de Villeneuve sort en salle de cinéma. Avec la mention gagnante deplus d’une trentaine de prix, le film éblouit tout autant les spectateurs. Cesœuvres ayant toutes deux fait fortune, apporte un intérêt intéressant au faitd’analyser le travail d’adaptation en tant que tel. Par le fait même, ce textes’attarde à observer ce qui fait d’Incendies une oeuvre à part entière peuimporte par quel médium elle est vue. Afin de mieux comprendre ces deux succèsartistiques, ce texte analyse les principaux ajouts, suppressions ainsi quemodifications que Villeneuve a apportés au récit de Mouawad. L’analyse setermine en constatant la relation créative qu’on les deux œuvres ainsi qu’enrelevant l’essentiel de cette adaptation cinématographique.

Développement

Résumé de l’histoire

Incendies estl’histoire de Nawal, émigré au Canada du Liban, aujourd’hui mère de jumeaux,Jeanne et Simon. Suite à sa mort, Nawal laisse aux jumeaux un testament plutôtdéstabilisant. Le décès de leur mère dévoile aux jumeaux que leur père qu’ilscroyaient mort à la guerre ne l’est pas et qu’un frère dont ils ignoraientl’existence existe. Le passé lugubre de Nawal, jamais dévoilé auparavant,s’anime à mesure que la recherche identitaire des jumeaux s’approfondit. Jeannepart la première dans se long voyage au pays natal de sa mère afin de trouverréponses à ses questions. Plus tard, Simon la rejoindra afin de leurspermettent de se rendre au bout de cette histoire qu’est le passé de leur mère.Leurs identités alors complètement basculées, les jumeaux découvrent la véritésur leurs origines, sur leur naissance.

Aspect principaux de l’oeuvre

Bien que les évènements narratifs de l’histoire diffèrentd’une œuvre à l’autre, Incendies estconstruit, autant dans la pièce de théâtre que dans le film, sur quelquesaspects qui font de se récit une histoire à part entière. Le premier aspectimportant de cette histoire est l’esprit cartésien de la jumelle. Jeanne en està son doctorat en mathématique. Sa vie tourne autour des mathématiques et ellene prend sens que par celles-ci. Dès le début du récit, la présence des mathématiquess’installe. Dans la pièce de théâtre, toute une scène à lieu en classe et estdédiée à la résolution d’un problème mathématique. Le film contient une scènesimilaire. Lorsque l’histoire se poursuit, dans les deux récits, la formulemathématique « 1+1=2 » est souvent répétée. À vrai dire, ce qui confirmel’importance des mathématiques est le dénouement de l’histoire. L’événement quimène au dénouement est la scène où Simon rencontre Chamseddine pour connaitrele passé du frère. Simon apprend seul la vérité sur l’identité de se frère. Plustard, il utilise la formule mathématique « 1+1=2 » afin de faire comprendre àsa sœur ce qu’on vient de lui apprendre. Jeanne qui depuis toujours comprend lavie avec des formules mathématiques comprend assez vite la situation.

Dans le même ordre d’idée, les mots et plusparticulièrement une phrase ont un impact assez particulier sur les personnagesde cette histoire. Dans les deux récits, il y a cette phrase d’une grandeimportance qui est répétée à plusieurs reprises : « Maintenant que noussommes ensemble, ça va mieux. Il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble ».Pour l’histoire qu’est Incendies,cette phrase est un signe d’espoir et de fin heureuse. Le premier à prononcerces mots dans la pièce de théâtre est Wahab, le premier et seul vrai amoureuxde Nawal. Après avoir entendu cela pour la première fois, Nawal s’en souviendrapour le reste de sa vie et elle en fera sa devise. D’ailleurs, après avoir vécudans le silence pendant cinq ans, Nawal dit cette phrase une dernière fois puiselle meurt. Pour ajouter à son importance, cette phrase se retrouve ensuite aussidans chacune des lettres que Nawal a laissées à ses enfants ainsi qu’à leurpère.

Finalement, le dernier aspect qui est au cœur de cettehistoire est la quête identitaire. Puisque le film est issu d’une temporalitévariable, le spectateur est témoin en simultané de cette quête qui a lieu chezNawal et chez les jumeaux. Après avoir été séparé de son premier fils orphelinné d’un amour religieusement honteux, Nawal tente de réparer ses blessures en poursuivantson éducation. Lorsque la guerre éclate, elle n’y voit aucune utilité alorselle part à la recherche de son fils issu de l’amour. Sa quête durera plusieurslongues années au cours desquels elle prendra des décisions et posera des actesqui forgeront la personne qu’elle deviendra. Quant à eux, les jumeaux onttoujours cru être nés au Québec. Lorsque le testament de leur mère leur annonceautre chose, leur identité bascule et ils se retrouvent à ne plus savoir quiils sont vraiment. À mesure que l’histoire avance, le spectateur est témoin dela progression de Nawal et de celle des jumeaux dans ce qui sera un longparcours vers la connaissance de soi.

Ajouts

L’adaptation cinématographique d’Incendies démontre clairement aux spectateurs des deux œuvres à quel point l’art du cinéma peut utiliser l’image et les effets sonores afin de susciter des émotions fortes. Bien que la pièce de théâtre soit tout autant capable de bouleverser l’audience, le film ne se sert pas des mêmes techniques pour la faire réagir. Le travail de Villeneuve a permis à l’art cinématographique de mettre beaucoup plus d’emphase sur l’effet destructeur, cruel et sinistre de la guerre sur les personnages de l’histoire, surtout sur Nawal. En effet, grâce aux fortes images capturées par les caméras, le film se permet d’être beaucoup plus centré sur des démonstrations visuelles et auditives de la guerre, alors que la pièce en parle beaucoup plus qu’elle ne la démontre. Malgré que la guerre joue un rôle important, sa représentation n’est pas autant significative et troublante dans la pièce de théâtre que dans le film. Plusieurs monologues permettent à certains personnages de relater sur les actes haineux de la guerre, cependant, les images étant plus réelles que les mots, ont un effet plus perturbateur chez le spectateur.

« Ainsi, la version d’Incendies du dramaturge relève davantage de l’évocation qui suscite l’imaginaire, tandis que celle du réalisateur parvient à montrer plutôt qu’à dire ». (Pelletier, Roy, 2015)


Pelletier, E. et Roy, I. (2015). Incendies : Évoquer pour susciter l’imaginaire et montrer plutôt que de dire. Nouvelles études francophones, 30(2), p.111. Tiré de https://muse-jhu-edu.proxy.bib.uottawa.ca/article/612231

Suppressions

Peu de péripéties sont oubliées des évènements principauxde l’histoire. Le film reste très fidèle au récit de Mouawad, cependant,quelques personnages de la pièce disparaissent du film pour n’être que mieuxreprésentés par d’autres. Bien que quelques personnages de niveaux secondaires soientremplacés par d’autres de façon quasi inaperçue, il y a un personnagesignificatif du récit qui est presque complètement tombé dans l’oubli. Sawda,personnage du passé, a vécu dans les camps de réfugiés avec Wahab le premieramour de Nawal. Lorsque Nawal décide de partir à la recherche de son fils,Sawda, admiratrice, lui suggère de l’aider à condition que Nawal lui apprenne àlire. Ce périple qui durera plus de vingt ans dans la pièce de théâtretransporte les spectateurs dans une amitié profonde. Ensemble, Nawal et Sawdavivront le pire entourées des violences de la guerre, ce qui mettra abruptementfin à leur voyage ensemble. Sawda, toujours en train de chanter, quittera Nawalqui elle, décide de poursuive dans l’acte de violence. Afin de toujours êtreensemble, puisqu’il n’a rien de plus beau que d’être ensemble, Nawal promet àSawda de chanter lorsqu’elle aura besoin de courage. Cette amie importante duprotagoniste n’est pas mentionnée dans le film outre le fait que Nawal estsurnommé la femme qui chante. Dans toute cette horreur qu’est l’emprisonnement,la torture et le viol, le spectateur se demande pourquoi Nawal chante. Pourceux qui auront aussi vu la version de Mouawad, ils comprendront qu’elle chanteétant à la recherche d’un peu de courage en se remémorant sa meilleure amieSawda.

Modifications

Dans le film, le personnage de Simon est représenté defaçon beaucoup plus compréhensif que dans la pièce de théâtre. Dans la pièce,Simon est vulgaire et chargé de haine envers sa défunte mère. Il n’a aucun respectpour les dernières volontés de celle-ci et il n’a aucune intention de faireautrement qu’à sa manière. De plus, ses discours sont remplis de jurons ce quifait de lui quelqu’un qui n’inspire pas confiance. Villeneuve a adapté lepersonnage de Simon afin de le rendre un peu plus transparent. Il a effacé lacarrière de boxer de Simon pour ne la remplacer avec rien d’autre et il aadouci les propos haineux du jumeau pour laisser une plus grande place aupersonnage de Jeanne. Dans le film, la jumelle joue un rôle beaucoup plussignificatif dans la recherche identitaire de la famille que son frère. Sacuriosité et son empathie envers sa mère sont plus grandes que celle de Simonet cela fait d’elle un personnage auquel Villeneuve s’attarde plus.

D’autant plus,en adaptant l’histoire de la famille Marwan, Villeneuve a dû faire quelqueschangements dans le déroulement des évènements. Une des modifications majeuresest celle du contexte entourant la rencontre entre Nawal et son premier fils.Vers la fin de sa vie au Québec, Nawal revoit son premier enfant par hasard età la suite de cette rencontre elle ne prononcera plus un seul mot pendant cinqans. Dans la pièce de théâtre, Nawal met un nez de clown dans le seau quicontient son fils. Lorsque celui-ci arrive à l’orphelinat on garde cet objetprécieusement afin de le laisser à cet enfant lorsqu’il grandira. À soixanteans, Nawal se retrouve victime dans un procès contre son bourreau de l’époqueoù elle était en prison. C’est à ce moment que l’accusé sort ce petit nez declown disant qu’il vient de sa mère biologique jamais retrouvée. Alors que laversion théâtrale démontre que c’est de cette façon que Nawal prend consciencede la personne qu’est devenu son premier fils issu de l’amour, le film nechoisit pas le même contexte. Dans le film, l’enfant naissant est tatoué detrois petits points noirs sur la cheville. Plusieurs années plus tard, par unhasard du destin, ce fils et sa mère se retrouvent tous deux à la piscinemunicipale de leur pays d’accueil, le Canada. Nawal dans la piscine voitd’abord le pied tatoué de son garçon issu de l’amour. Une fois sortie de l’eau,c’est le visage de son bourreau à la cheville tatoué de son fils qu’ellereconnait. Bien que les circonstances soient changées dans le film par rapportà l’histoire originale, Villeneuve a su maintenir le même effet perturbateur decette découverte.

Conclusion

L’une complète l’autre

En passant par la modification inévitable du texte théâtrale, Villeneuve à tout de même réussit à capter l’essentiel et à effacer peu de l’encre originale. Cependant, ce qui fait de ces deux œuvres un travail particulier, est le fait que chacune d’elle ne peut pas se dissocier de l’autre. Après avoir pris conscience de l’existence de la pièce de théâtre et du film, le spectateur se rend compte à quel point les deux se complètent. Par exemple, alors que Mouawad ne fait qu’inclure dans le texte un mention du notaire disant que Nawal avait une phobie des autobus, Villeneuve tant qu’à lui explore cette phobie avec plus de profondeur. La scène complète de l’autobus incendié représente une partie de l’histoire inconnu et non raconté du récit de Mouawad. En s’inspirant d’évènements réels, Villeneuve à créé cette scène qui sans doute, clarifie la phobie de Nawal.

De plus, tel mentionné plus haut, Villeneuve n’à pas fait exister Sawda, mais il a tout de même laisser le personnage de Nawal tenir sa promesse envers sa fidèle amie en la faisant chanter. Pour les spectateurs qui auront vu le film avant de lire la pièce de théâtre, ils croiront au fait que Nawal utilisait le chant comme méthode de résilience. Cependant, une fois qu’ils auront prie conscience du récit théâtrale, ils comprendront le vrai contexte qui inclut Sawda.

Plusieurs autres éléments de ses deux histoires concordent bien ensemble. Beaucoup de ces éléments ne peuvent qu’être compris dans leur totalité qu’en ayant connaissance de la pièce et du film. C’est pourquoi les deux œuvres sont interdépendante et se complète très bien.

L’essentiel

Un travail d’adaptation est réussi lorsque le spectateur de l’un ou de l’autre évoque les mêmes émotions face aux récits. François Truffaut est d’accord avec cette affirmation. En 1954, il a écrit dans un article dans les cahiers du cinéma disant :

« Seule compte la réussite du film, celle-ci liée exclusivement à la personnalité du metteur en scène […] Il n’y a donc ni bonne ni mauvaise adaptation […] la même chose, en mieux ; autre chose, de mieux »

Les cahiers du cinéma, n° 31, janvier 1954

L’adaptation d’Incendiesa suscité de nombreuses critiques positives en plus de gagner de nombreux prixprouvant à quel point le public a été perturbé par cette histoire poétiquementracontée à l’aide d’images, de musique, de son et de lieux de tournages plusqu’adaptés.

Finalement

Finalement, en travers tous ses ajouts, suppressions etmodification, Villeneuve à créer une autre œuvre en soi. Avec son médiumartistique plus populaire, il aura réussi à exposer l’histoire de Nawal à unplus grand nombre de spectateurs. Le film apportant des clarifications àl’œuvre originale et l’œuvre de Mouawad confirmant le scénario de Villeneuverien ne peut être ajouté. Les incendies de ce récit se ravivent maintenantà  l’écran et sur scène.

Liens pratiques

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Critiquer le travail du réalisateur: Polytechnique (Denis Villeneuve, 2009)

Réveil d’un matin d’école ordinaire, engouffré sous la neige, les élèves de l’école polytechnique n’ont aucune idée de la tragédie qui les attend le 6 décembre 1989. En regardant ce film qui aura causé bien des débats au sein de la population québécoise, le spectateur, captivé par le travail du réalisateur, ne peut s’empêcher de se poser quelques questions. Il essaie d’abord de comprendre le point de vue du tueur. Par le travail du réalisateur, il est intéressant de voir les évènements se dérouler à la fois dans le contexte des victimes et dans celui du meurtrier. Le spectateur se questionne aussi à savoir pourquoi le film, malgré sa date de sortit,  a été réalisé en noir et blanc. Le film pousse aussi ceux qui le regardent à s’interroger sur d’autres choix artistiques du réalisateur tels que l’aspect temporel du film, les mouvements de caméra particuliers ainsi que la quantité de dialogue présent dans le film. C’est en tentant de se mettre dans la peau du réalisateur, de ceux qui ont vécu l’évènement et de ceux qui visionneront le film que ces questionnements peuvent être clarifiés.

 Polytechnique fut à l’affiche dans les cinémas du Québec en 2009. Un film faux documentaire qui a pour but de reproduire les évènements du 6 décembre 1989. Un tireur aux convictions haineuses qui n’a qu’une cible : les féministes. D’après le meurtrier, dans une école où les apprentis ingénieurs sont formés, les femmes n’y sont pas à leur place. Tel qu’arrivé dans la vraie vie, Villeneuve nous montre d’abord un personnage « post » tuerie qui tente en vain d’accomplir ses dernières volontés. Ce jour-là, Marc Lépine, 25 ans, a pris la décision de s’enlever la vie et d’apporter avec lui celles qui croit-il, le méritent. Avant de commettre cet acte, il choisit décrire une lettre pour sa mère afin de lui expliquer se qui l’aura poussé à choisir la mort plutôt que la vie. C’est en faisant lire la lettre réellement écrite par Lépine par l’acteur incarnant le rôle du tueur en voit hors champ, que le réalisateur tente d’expliquer le criminel aux spectateurs. La totalité du film se déroule dans les écrits haineux du tueur et dans les sanglots ravageurs des étudiants. Tel qu’écrit dans sa lettre, voulant à tout prix qu’on se souvienne de lui pour ses actions sociopolitiques, Marc Lépine, dans son mal de vivre, apportera avec lui une part d’injustice auprès des féministes de ce monde.

Pour nous mettre dans l’ambiance, Denis Villeneuve nous crée un film en noir et blanc. Au 21e siècle, il y a déjà bien longtemps qu’on n’en fait plus de ceux-là. C’est peut-être frappant pour certains de ne pas voir de couleur, mais on s’y habitue rapidement. Choquée par les images que l’on voit, l’absence de couleur prend vite un sens. C’est une journée d’hiver sombre, dramatique, effrayante, tous des mots qui ne s’agence pas avec la couleur. Cette décision prise par le réalisateur donne de l’amplitude à leurs émotions lors du visionnement. D’abord, les images de cette fatidique journée sont synonymes de la réalité de décembre ’89. Sans doute, le choix du noir et blanc invoque une forme de respect envers les vraies victimes de cet évènement. Villeneuve rend hommage à ceux-ci en montrant toute la noirceur du geste posé par le tueur. De plus, le film en noir et blanc représente le passé. En tournant Polytechnique en noir et blanc, le réalisateur tente de souligner le fait que l’histoire est un marqueur important d’une autre époque. Pour terminer, le film étant pourvus de multiples scènes sanglantes, le choix de tourné en noir et blanc facilite, quoi que seulement à peine, le visionnement de ce film.

Bien que le film soit issu de la réalité, c’est en éliminant les barrières entre le passé, le présent et le futur que Villeneuve nous raconte les coups de feu, les cris et les derniers souffles des étudiants de l’école polytechnique. S’échelonnant sur une ligne du temps décousu, les scènes portent à confusion tout en captivant son auditoire. Sachant déjà les éventualités du film, les spectateurs sont constamment en attente du premier coup de feu. Villeneuve tente de prouver un point important en exposant les scènes sur une ligne du temps décousu. N’étant jamais certains si ce que l’on voit s’est déroulé avant ou après la tuerie, nous omettons de croire en la valeur temporelle de la vie. Peu importe si le premier coup de feu fut entendu dans la scène que l’on voit à l’écran, dans celle d’avant ou celle d’après. De toute façon, il sera entendu, c’est inévitable.

Le film témoigne non seulement d’une noirceur infinie, mais aussi d’angles de caméra incongrus. À quatre reprises pendant le film on peut voir une scène filmée à la diagonale, à la verticale ou encore complètement à sens inverse. Pourquoi cette démarche artistique du réalisateur? Que veut-il nous dire? Une théorie possible est qu’il essaie de nous transmettre à quel point cette tragédie met les victimes et leurs entourages sens dessus dessous. En regardant la caméra tourner sur elle-même, le spectateur, ayant des maux de cœur rien qu’à regarder le film, ressent se malaise physique de façon encore plus amplifié. Une autre théorie possible est que Villeneuve essaie de nous démontrer indirectement son interprétation des évènements. En rendant quelques plans complètement sens dessus dessous, le réalisateur nous montre une vision du monde qui n’a plus de direction et une société québécoise qui perd elle-même tous ses sens.

Une autre décision artistique qui rend la façon dont se film est raconté particulière est le fait qu’il y a peu d’échange verbale entre les différents personnages. Un film sans dialogue, mais qui réussit tout de même à raconter une histoire si atroce soit-elle. Pendant toute la durée du film, les échanges de paroles entre les personnages se comptent sur les doigts de la main. C’est avec le silence et les sons que le réalisateur nous fait entendre le 6 décembre 1989. C’est comme si les paroles échangées ce jour-là ont perdu toute leur importance. Avant le premier coup de feu, c’était une journée comme une autre. Villeneuve tente de démontrer que les échanges des étudiants deviennent insignifiants sachant qu’une conscience mal intentionnée se promène armée dans les couloirs du cégep.

Tragédie québécoise, racontée par des Québécois, Polytechnique surpasse les attentes des spectateurs. Ravivant les souvenirs enfouis depuis déjà vingt ans, le film ne manque pas en émotions. Sachant poignarder ses spectateurs, Denis Villeneuve oublie les règles du cinéma documentaire pour faire du 6 décembre 1989 une série d’images poétiques. Il donne la chance au spectateur de connaitre le tueur et de faire entendre ses mots. Il donne une signification hors convention au choix du noir et blanc pour ce film. Il efface la ligne du temps afin de démontrer son insignifiance et il raconte en silence les coups de fusil meurtrier afin d’amplifier les gestes du tueur. Chaque scène de ce film raconte la mémoire des futurs ingénieurs de l’école Polytechnique. Chaque mouvement de caméra dirige le spectateur dans ses émotions et dans son mal face aux images qu’il voit. Encore aujourd’hui, l’un des plus gros massacres au Canada perturbe ceux qui ont été touchés de près ou de loin par cette journée du 6 décembre 1989.

Bande annonce du film

https://www.youtube.com/watch?v=I1pbAZAhv54

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