Critiquer le travail du réalisateur: Polytechnique (Denis Villeneuve, 2009)

Réveil d’un matin d’école ordinaire, engouffré sous la neige, les élèves de l’école polytechnique n’ont aucune idée de la tragédie qui les attend le 6 décembre 1989. En regardant ce film qui aura causé bien des débats au sein de la population québécoise, le spectateur, captivé par le travail du réalisateur, ne peut s’empêcher de se poser quelques questions. Il essaie d’abord de comprendre le point de vue du tueur. Par le travail du réalisateur, il est intéressant de voir les évènements se dérouler à la fois dans le contexte des victimes et dans celui du meurtrier. Le spectateur se questionne aussi à savoir pourquoi le film, malgré sa date de sortit,  a été réalisé en noir et blanc. Le film pousse aussi ceux qui le regardent à s’interroger sur d’autres choix artistiques du réalisateur tels que l’aspect temporel du film, les mouvements de caméra particuliers ainsi que la quantité de dialogue présent dans le film. C’est en tentant de se mettre dans la peau du réalisateur, de ceux qui ont vécu l’évènement et de ceux qui visionneront le film que ces questionnements peuvent être clarifiés.

 Polytechnique fut à l’affiche dans les cinémas du Québec en 2009. Un film faux documentaire qui a pour but de reproduire les évènements du 6 décembre 1989. Un tireur aux convictions haineuses qui n’a qu’une cible : les féministes. D’après le meurtrier, dans une école où les apprentis ingénieurs sont formés, les femmes n’y sont pas à leur place. Tel qu’arrivé dans la vraie vie, Villeneuve nous montre d’abord un personnage « post » tuerie qui tente en vain d’accomplir ses dernières volontés. Ce jour-là, Marc Lépine, 25 ans, a pris la décision de s’enlever la vie et d’apporter avec lui celles qui croit-il, le méritent. Avant de commettre cet acte, il choisit décrire une lettre pour sa mère afin de lui expliquer se qui l’aura poussé à choisir la mort plutôt que la vie. C’est en faisant lire la lettre réellement écrite par Lépine par l’acteur incarnant le rôle du tueur en voit hors champ, que le réalisateur tente d’expliquer le criminel aux spectateurs. La totalité du film se déroule dans les écrits haineux du tueur et dans les sanglots ravageurs des étudiants. Tel qu’écrit dans sa lettre, voulant à tout prix qu’on se souvienne de lui pour ses actions sociopolitiques, Marc Lépine, dans son mal de vivre, apportera avec lui une part d’injustice auprès des féministes de ce monde.

Pour nous mettre dans l’ambiance, Denis Villeneuve nous crée un film en noir et blanc. Au 21e siècle, il y a déjà bien longtemps qu’on n’en fait plus de ceux-là. C’est peut-être frappant pour certains de ne pas voir de couleur, mais on s’y habitue rapidement. Choquée par les images que l’on voit, l’absence de couleur prend vite un sens. C’est une journée d’hiver sombre, dramatique, effrayante, tous des mots qui ne s’agence pas avec la couleur. Cette décision prise par le réalisateur donne de l’amplitude à leurs émotions lors du visionnement. D’abord, les images de cette fatidique journée sont synonymes de la réalité de décembre ’89. Sans doute, le choix du noir et blanc invoque une forme de respect envers les vraies victimes de cet évènement. Villeneuve rend hommage à ceux-ci en montrant toute la noirceur du geste posé par le tueur. De plus, le film en noir et blanc représente le passé. En tournant Polytechnique en noir et blanc, le réalisateur tente de souligner le fait que l’histoire est un marqueur important d’une autre époque. Pour terminer, le film étant pourvus de multiples scènes sanglantes, le choix de tourné en noir et blanc facilite, quoi que seulement à peine, le visionnement de ce film.

Bien que le film soit issu de la réalité, c’est en éliminant les barrières entre le passé, le présent et le futur que Villeneuve nous raconte les coups de feu, les cris et les derniers souffles des étudiants de l’école polytechnique. S’échelonnant sur une ligne du temps décousu, les scènes portent à confusion tout en captivant son auditoire. Sachant déjà les éventualités du film, les spectateurs sont constamment en attente du premier coup de feu. Villeneuve tente de prouver un point important en exposant les scènes sur une ligne du temps décousu. N’étant jamais certains si ce que l’on voit s’est déroulé avant ou après la tuerie, nous omettons de croire en la valeur temporelle de la vie. Peu importe si le premier coup de feu fut entendu dans la scène que l’on voit à l’écran, dans celle d’avant ou celle d’après. De toute façon, il sera entendu, c’est inévitable.

Le film témoigne non seulement d’une noirceur infinie, mais aussi d’angles de caméra incongrus. À quatre reprises pendant le film on peut voir une scène filmée à la diagonale, à la verticale ou encore complètement à sens inverse. Pourquoi cette démarche artistique du réalisateur? Que veut-il nous dire? Une théorie possible est qu’il essaie de nous transmettre à quel point cette tragédie met les victimes et leurs entourages sens dessus dessous. En regardant la caméra tourner sur elle-même, le spectateur, ayant des maux de cœur rien qu’à regarder le film, ressent se malaise physique de façon encore plus amplifié. Une autre théorie possible est que Villeneuve essaie de nous démontrer indirectement son interprétation des évènements. En rendant quelques plans complètement sens dessus dessous, le réalisateur nous montre une vision du monde qui n’a plus de direction et une société québécoise qui perd elle-même tous ses sens.

Une autre décision artistique qui rend la façon dont se film est raconté particulière est le fait qu’il y a peu d’échange verbale entre les différents personnages. Un film sans dialogue, mais qui réussit tout de même à raconter une histoire si atroce soit-elle. Pendant toute la durée du film, les échanges de paroles entre les personnages se comptent sur les doigts de la main. C’est avec le silence et les sons que le réalisateur nous fait entendre le 6 décembre 1989. C’est comme si les paroles échangées ce jour-là ont perdu toute leur importance. Avant le premier coup de feu, c’était une journée comme une autre. Villeneuve tente de démontrer que les échanges des étudiants deviennent insignifiants sachant qu’une conscience mal intentionnée se promène armée dans les couloirs du cégep.

Tragédie québécoise, racontée par des Québécois, Polytechnique surpasse les attentes des spectateurs. Ravivant les souvenirs enfouis depuis déjà vingt ans, le film ne manque pas en émotions. Sachant poignarder ses spectateurs, Denis Villeneuve oublie les règles du cinéma documentaire pour faire du 6 décembre 1989 une série d’images poétiques. Il donne la chance au spectateur de connaitre le tueur et de faire entendre ses mots. Il donne une signification hors convention au choix du noir et blanc pour ce film. Il efface la ligne du temps afin de démontrer son insignifiance et il raconte en silence les coups de fusil meurtrier afin d’amplifier les gestes du tueur. Chaque scène de ce film raconte la mémoire des futurs ingénieurs de l’école Polytechnique. Chaque mouvement de caméra dirige le spectateur dans ses émotions et dans son mal face aux images qu’il voit. Encore aujourd’hui, l’un des plus gros massacres au Canada perturbe ceux qui ont été touchés de près ou de loin par cette journée du 6 décembre 1989.

Bande annonce du film

https://www.youtube.com/watch?v=I1pbAZAhv54

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